"Ich wàrt uf de Theo" - Quatre questions à Olivier Chapelet et Pierre Kretz

Les Tanzmatten : "Ich wàrt uf de Theo" clôt une trilogie théâtrale. Quel est le point commun entre les personnages de celle-ci, tous interprétés par Francis Freyburger ?
Olivier Chapelet : Ce sont trois êtres tirés du quotidien qui cachent au fond d’eux-mêmes de profondes blessures. La rencontre entre ces deux réalités en fait de véritables personnages car elle les fait passer du statut de « communs » à celui d’ « universels ». Les blessures qu’ils portent sont certes singulières mais les douleurs qu’elles engendrent sont de celles que chacun de nous peut ressentir à un moment ou un autre de son existence. Un autre point commun entre les trois personnages est le savant mélange entre comédie et tragédie que Pierre s’applique à distiller avec maestria dans la peinture de leur histoire.
Des solitaires, qui se retrouvent sur le bas-côté des autoroutes mainstream
Pierre Kretz : Je dirais que le fil rouge qui relie les personnages que j'ai inventés c'est que ce sont tous les trois des solitaires, qui se retrouvent sur le bas-côté des autoroutes mainstream comme on dit maintenant. Ils sont tous les trois des produits d'un pan particulier de l'histoire du XXe siècle. Ce qui les relie également, c'est que chacun à sa manière trouve une lucarne, un truc pour affronter l'existence : humour, empathie pour les défunts, méchanceté...
Les Tanzmatten : A la lecture du nom de la pièce, impossible de ne pas penser à l’œuvre de Samuel Beckett En attendant Godot : coïncidence ou clin d’œil appuyé ?
Olivier Chapelet : Vladimir et Estragon attendent un Godot qui ne vient pas, tout comme Sepp attendra vainement Théo, son petit-neveu. Pour moi, il s’agit d’un clin d’œil humoristique de l’auteur. En tout cas à aucun moment du travail de mise en scène je n’ai cherché à montrer de filiation entre ces deux textes.
Pierre Kretz : Clin d'oeil, bien sûr. J'ai mis des années à faire aboutir ce texte. Mais je savais qu'il y avait quelque chose de fort dans le type qui est assis sur un banc, avec son cabas, sa bouteille Butagaz un soir de novembre devant un Super U. Attendre quoi ? Attendre qui ? Pendant longtemps je ne savais pas. Mais j'étais sûr qu'il y avait là quelque chose. Je pense que pour qu'un récit de fiction fonctionne, il faut une situation. Et là j'avais la situation. Le reste a fini par venir.
Le fossé qui se creuse entre les jeunes et les moins jeunes, une constante depuis la nuit des temps

Les Tanzmatten : "Ich wàrt uf de Theo" n'est-ce pas aussi une histoire de confrontation : entre les langues alsacienne et française, mais aussi entre les générations ?
Olivier Chapelet : La confrontation entre les langues française et alsacienne est déjà une confrontation entre les générations ! Bien évidemment, il s’agit du fossé qui se creuse entre les jeunes et les moins jeunes, une constante depuis la nuit des temps, qui, dans ce texte, fait ressortir la vertigineuse solitude du personnage.
Pierre Kretz : Oui bien sûr. Cet espèce de mélange continuel entre les deux langues dit beaucoup de la société et donne à l'auteur une belle opportunité de varier, d'enrichir son écriture. En fait il joue simultanément de deux instruments. Un vrai privilège !
Les Tanzmatten : Christophe Wehrung apporte sa pierre à la narration avec son univers pictural. Qu'est-ce qui vous a donné envie de travailler avec lui ?
Olivier Chapelet : Il y avait longtemps que je voulais associer la peinture à l’une de mes mises en scène. Je ne saurais dire pourquoi, je peux juste citer l’émotion que me procure cet art. Quand j’ai rencontré Christophe il y a une dizaine d’années, j‘ai tout de suite pensé que si cette association se produisait ce serait avec sa peinture. Je trouve son inspiration profonde et esthétique. Ses tableaux me touchent. En lisant En attendant Théo, j’ai spontanément pensé que sur ce spectacle la rencontre pourrait advenir et qu’elle pourrait permettre l’expression des souvenirs de Sepp d’une autre manière que par les mots, dans un dialogue avec eux qui soit enrichissant pour l’expression dramatique. C’est ce que nous avons cherché à établir dès le début du travail, un récit pictural parallèle et complémentaire à la parole. Christophe a peint quelques toiles pour le spectacle, d’autres ont été tirées de son stock.
Pierre Kretz : J'avoue que je ne comprenais pas très bien où il voulait en venir au début. Christophe était d'ailleurs dans le même état d'esprit. Mais le résultat est magnifique. Et l'univers de Christophe qui accompagne le texte et le jeu de Francis est pour beaucoup dans l'enthousiasme que le spectacle suscite auprès du public.
Le spectacle / La billetterie
